Réforme de la prévoyance professionnelle (LPP 21) : situation, enjeux, contenu, prochaines étapes

La retraite est devenue depuis quelques années la principale inquiétude des Suisses.

En 2020, les préoccupations liées au COVID-19 et à ses impacts sur la santé et l’économie ont monopolisé les débats.  Les tensions que la pandémie a engendré sur le marché du travail et sur les équilibres des Institutions de prévoyance ne tarderont pas à remettre les retraites au centre des attentions.

Rappel : dans la vision du législateur, lors de la mise en place du système de prévoyance basé sur les 3 piliers, le cumul des rentes du 1er et 2ème pilier devaient permettre aux assurés de conserver dans une large mesure leur niveau de vie antérieur et d’atteindre environ le 60 % du dernier salaire.

Or, selon les dernières études, ce cumul ne représenterait plus que 46 % du dernier salaire en 2025 contre 57 % en 2010. Les hauts revenus connaîtraient une diminution encore plus conséquente, le rapport devrait être de 51% à 37%.

La nécessité de rééquilibrer le système sur le moyen/long terme demeure urgente afin d’éviter une fracture sociale entre générations.

Après avoir analysé au cours de printemps dernier le projet de réforme de l’AVS (https://arpr.ch/reforme-avs-21-situation-enjeux-contenu-prochaines-etapes/), c’est le moment, suite à la récente publication du message du Conseil Fédéral (25 novembre dernier), de faire le point sur le projet de réforme de la prévoyance professionnelle (LPP 21)

 

Les enjeux

La Suisse dispose d’un système de prévoyance solide, néanmoins, en termes de durabilité, il ne se place qu’à la 63ème place selon une étude récente d’Allianz[1] qui compare les systèmes de retraite au niveau mondial.

Deux facteurs mettent sous pression le 2ème pilier et engendrent un déséquilibre dans le financement des futures rentes :

  1. L’évolution démographique : l’espérance de vie à la naissance continue à progresser.

Elle était, en moyenne, de 76,7 ans en 1985 (date d’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle). Aujourd’hui (données OFSP 2019) elle est de 85,6 ans pour les femmes et 81,9 pour les hommes.

  1. La faiblesse des taux d’intérêt.

Le rendement annuel moyen réel des avoirs des Caisse de pension s’élevait à 3,6% à la date de création de la LPP. Aujourd’hui, les analystes tablent sur un taux réel de 1,2 %[2] sur le long terme.

D’un côté, l’horizon temporel des engagements des Institutions de prévoyance continue d’augmenter. De l’autre, la faiblesse des marchés financiers limite le produit des avoirs de vieillesse ne permettant plus d’atteindre les rendements nécessaires pour compenser l’évolution démographique.

Selon les experts, avec le taux de conversion actuel (6,8 %), pour couvrir les engagements financiers supplémentaires liés à l’évolution de l’espérance de vie, les Institutions de prévoyance auraient besoin d’obtenir des rendements d’environ 5% sur les marchés financiers !

Pour faire face à cette situation, les Caisses de pensions ont été obligées de baisser leurs taux d’intérêts techniques (en augmentant ainsi leurs besoins en termes de capital pour couvrir les engagements) et de réduire les taux de conversion de la partie surobligatoire des rentes.

 

Petit rappel du système des 3 piliers

Le système suisse de la prévoyance est composé de trois piliers.

Les 3 formes de prévoyance ont pour but de couvrir la perte ou la diminution du revenu à la suite d’une invalidité, d’un décès ou du départ à la retraite.

En synthèse :

A la différence de l’AVS, le 2ème pilier est financé par capitalisation : chaque assuré constitue, pendant la durée de son activité lucrative (avec une participation de l’employeur, s’il est salarié), le capital nécessaire au financement des prestations auxquelles il aura droit au moment de sa retraite.

 

Historique Prévoyance professionnelle

1972                      Inscription dans la Constitution du principe dit des « 3 piliers ». La prévoyance professionnelle devient obligatoire.

1985                      Entrée en vigueur de la Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP).

1995                      Introduction du libre passage (LFLP).

2004 – 2006      1ère révision de la LPP : abaissement du seuil d’accès, abaissement de la déduction de coordination, abaissement du taux de conversion, examen et adaptation réguliers du taux d’intérêt minimal, rente de veuf, adaptation des possibilités de rachat.

2011 – 2012       Réforme structurelle de la LPP : amélioration de la surveillance, de la gouvernance et de la transparence, introduction de mesures pour les travailleurs âgés.

Des tentatives de réforme ont échoué lors des 10 dernières années :

2010                      Rejet de la baisse du taux de conversion LPP sans mesures de compensation.

2017                      Rejet de « Prévoyance vieillesse 2020 », le 1er projet qui prévoyait de réformer simultanément le 1er et 2ème pilier, notamment : en relevant l’âge de la retraite des femmes à 65 ans, en introduisant des mesures de flexibilisation de la retraite et en baissant le taux de conversion minimal LPP.

 

Ce que prévoit la Réforme LPP21

L’objectif principal du projet de réforme est l’adaptation du niveau des rentes à l’augmentation de l’espérance de vie par le biais de la réduction du taux de conversion minimal de 6,8 % à 6 %.

Au moment du départ à la retraite l’assuré se trouve face au choix de retirer l’avoir vieillesse sous forme de capital ou décider de le transformer en rente viagère.

Cette rente est déterminée en multipliant l’avoir vieillesse accumulé (capital accumulé) par le taux de conversion minimal[3] qui, actuellement, est de 6,8 %[4].

En principe, le taux de conversion devrait permettre de repartir le capital sur la durée de vie restante au moment du départ à la retraite.

L’allongement de l’espérance de vie et la faiblesse des taux ne permettent plus de soutenir le taux actuel sur le long terme sans mettre en danger l’équilibre financier des Institutions de prévoyance.

La réduction du taux à 6 %[5] permettrait, donc, de rééquilibrer la situation en rapprochant l’engagement des Caisses à la durée de vie attendue au moment du départ à la retraite.

La réforme envisage la mise en place de 3 mesures pour compenser la baisse du taux de conversion minimal.

  1. Introduction d’un supplément de rente pendant une période transitoire.

Afin de maintenir le niveau des prestations de vieillesse et d’invalidité pour les retraités durant les quinze années qui suivent l’entrée en vigueur de la réforme, la réforme prévoit un supplément mensuel de rente, à vie, entre CHF 100 et CHF 200 en fonction de l’année de naissance. Le financement se ferait par le biais d’une cotisation supplémentaire de 0.5% sur le revenu soumis à l’AVS (dont, au moins, la moitié financée par l’employeur)

  1. Diminution de la déduction de coordination afin d’améliorer les prestations pour les personnes à faible salaire.

La mesure vise à augmenter les salaires assurés et à améliorer la couverture des faibles revenus en baissant la déduction de coordination de la moitié par rapport au montant actuel.

Les revenus supérieurs à CHF 12.548 (pour 2021), au lieu de CHF 25.095, auraient ainsi accès à la prévoyance professionnelle.

  1. Adaptation des bonifications de vieillesse pour favoriser le maintien et l’embauche des seniors.

Afin de favoriser l’embauche et les possibilités professionnelles des travailleurs plus âgés, la réforme en cours de discussion prévoit de réduire les différences de taux de bonifications vieillesse entre tranches d’âge.

Aujourd’hui, les cotisations versées au titre de la prévoyance professionnelle (dont une partie retenue sur le salaire et financée par le salarié) pénalisent les travailleurs seniors. En introduisant uniquement 2 tranches (au lieu de 4) et en réduisant les différences entre taux, la reforme faciliterait l’employabilité des assurés plus âgés.

Prochaines étapes

Le 25 novembre 2020, le Conseil fédéral a publié son message sur la réforme de la prévoyance professionnelle. Le projet sera probablement traité au cours du premier semestre 2021 par la Commission Consultative du Conseil Prioritaire.

Il est difficile de prévoir le calendrier législatif et politique mais il semble réaliste à ce stade de penser que, si approuvée, la réforme n’entrera pas en vigueur avant 2025.

 

 

Bibliographie / Notes

[1]  « Global Pension Report 2020 » : https://www.presseportal.ch/fr/pm/100008591/100848522

[2] https://www.lematin.ch/story/le-2e-pilier-des-jeunes-actifs-penalise-par-les-taux-807985165525

[3] Le « taux de conversion minimal » est le taux appliqué sur l’épargne accumulée selon la LPP. Les plans de prévoyance des entreprises peuvent prévoir des prestations supérieures au minimum obligatoire LPP. On parle, dans ce cas, de « prévoyance surobligatoire », dont le taux de conversion peut être inferieur au minimum prévu par la Loi (des taux inférieurs à 5% sont déjà pratiqués). Le taux de conversion moyen à 65 ans était de 6,74 % en 2010, il sera aux alentours de 5,45 % en 2023.

[4] Par ex. : un assuré qui dispose d’un avoir vieillesse de CHF 300.000 au moment du départ à la retraite pourra disposer d’une rente annuelle de 300.000 x 6,8 % = 20.400 CHF.

[5] Les actuaires estiment qu’un taux de conversion aux alentours de 5% serait plus adapté à la réalité.