Préambule
D’après le baromètre des préoccupations du Crédit Suisse publié en novembre 2019, la retraite est, pour la 3ème année consécutive, la principale inquiétude des Suisses (47 % de la population) et cela pour toutes les tranches d’âges des personnes interrogées.
Préoccupation accentuée par le recul de confiance dans les Institutions en charge du dossier des retraites et qui semble bien fondée. En effet, le cumul des rentes du 1er et 2ème pilier ne représentera plus que 46 % du dernier salaire en 2025 contre 57 % en 2010. Les hauts revenus connaîtraient une diminution encore plus conséquente, le rapport devrait être de 51% à 37%.
Dans ce dossier, nous vous proposons de découvrir les évolutions juridiques attendues dans les prochains mois concernant le 1er et 2ème pilier.
Commençons par l’AVS.
Les enjeux
La situation financière de l’AVS ne cesse de se dégrader depuis plus de 10 ans mettant en danger son équilibre.
L’espérance de vie et les évolutions démographiques sont les causes principales de cette situation :
- L’espérance de vie est passée de 67,3 ans, en moyenne, en 1948 (date de création de l’AVS) à 85,4 ans pour les femmes et à 81,7 ans pour les hommes en 2018 ;
- Le ratio « population active / personnes à la retraite » était de 6.5 en 1948, il est 3,4 aujourd’hui et atteindra 2.3 en 2035, quand la génération des « baby boomers » sera partie à la retraite (avec un pic prévu en 2029).
En 2030, le déficit de répartition annuel de l’AVS (différence entre, d’un côté, les produits des cotisations des assurés et des contributions des pouvoirs publics, hors intérêts du capital, et, de l’autre, les dépenses) pourrait atteindre 7,6 milliards de francs (pour rappel, le déficit 2018 a été de 1,04 milliards et en 2019 de 1,17 milliards). Cet indicateur est devenu négatif pour la 1ere fois en 2014.
Le financement additionnel de l’AVS, à hauteur de 2 milliards de CHF par an accepté en 2019 dans le cadre de la Réforme fiscale et financement de l’AVS (« RFFA » – voir ci-dessous), permettra dès 2020 de réduire le déséquilibre. Néanmoins, cette mesure ne suffira pas à combler le déficit de financement, qui, selon les estimations, pourrait atteindre 23 milliards de CHF en 2030, voire même 26 milliards pour les scenarii pessimistes.
Cette situation financière est également aggravée par les projections macro-économiques : croissance incertaine, faiblesse des taux d’intérêts et des rendements.
Une réforme visant à assurer l’équilibre financier de l’AVS est, donc, nécessaire.
Petit rappel du système des 3 piliers
Le système suisse de la prévoyance est composé de trois piliers.
Les 3 formes de prévoyance ont pour but de couvrir la perte ou la diminution du revenu à la suite d’une invalidité, d’un décès ou du départ à la retraite.
En synthèse :
Ce qui est important de souligner ici est le principe de solidarité générationnelle qui régit le 1er pilier.
L’AVS et l’AI sont financées selon un système de répartition et pas de capitalisation (il n’y a, donc pas de notion d’épargne personnel comme on le retrouve dans le 2ème et 3ème pilier).
Les cotisations encaissées par l’AVS/AI sont immédiatement utilisées pour financer les rentes des personnes actuellement à la retraite.
Historique
Mai 1925 : Création de la base constitutionnelle de l’AVS. En décembre, la population adoptait l’article constitutionnel 34quater qui obligeait le Conseil Fédéral à légiférer en matière d’assurance vieillesse (et de créer une assurance invalidité).
Juillet 1947 : Acceptation par le peuple, en 2ème votation, de la Loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS). Elle entra en vigueur le 1er janvier 1948. Les premières rentes étaient comprises entre 480 et 1.500 francs par an (l’équivalent de 2.200 à 6.900 de francs actuels).
1951 : 1ère révision AVS
1959 : Harmonisation et coordination avec la LF sur l’Assurance Invalidité
1964 : Abaissement de l’âge de la retraite des femmes à 62 ans
1966 : Introduction des prestations complémentaires
1973 : Relèvement des rentes de 80 % et, deux ans plus tard, de 25 %,
1993 : Base constitutionnelle du point de TVA en faveur de l’AVS
1997 : 10ème révision AVS : la révision introduit, notamment, le système de rentes individuelles, le partage du revenu des conjoints, la rente de survivants destinée aux veufs et le relèvement par étapes de l’âge de la retraite des femmes de 62 à 64 ans (en 2001 et 2005)
2019 : Réforme fiscale et financement de l’AVS (« RFFA ») : il s’agit d’une mesure d’assainissement, la première dans son genre, qui se traduit en un financement additionnel en faveur de l’AVS de plus de 2 milliards de CHF par an (une partie de ce montant, environ 800 millions de CHF versés par la Confédération, le reste par les employeurs et les salariés).
Depuis 1997, plusieurs projets et initiatives populaires de révision de l’AVS ont échoué :
2004 : Projet 11ème révision de l’AVS : le projet, qui prévoyait le relèvement de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans et des restrictions pour les rentes de veuves, a été rejeté en votation populaire par 67,9% des voix.
2010 : Projet 11ème révision de l’AVS (bis) : le projet, qui prévoyait, à nouveau, le relèvement de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans ainsi que des mesures de flexibilisation de la retraite, ne franchit pas les discussions parlementaires.
2016 : Initiative populaire « AVSplus : pour une AVS forte » : l’initiative avait comme objectif de relever toutes les rentes AVS de 10 % (pour un coût estimé d’environ 4 milliards de CHF par an).
2017 : Projet de réforme « Prévoyance vieillesse 2020 ». Il s’agit du premier (et dernier) projet de réforme qui a concerné au même temps le 1er et 2ème pilier. Au programme : relèvement de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans et flexibilisation de la retraite dans l’AVS et la LPP, financement additionnel pour l’AVS via la TVA, réduction du taux de conversion minimal LPP. Après l’échec du projet, le Conseil Fédéral a décidé de dissocier les reformes de l’AVS et de la LPP.
Ce que prévoit la reforme AVS 21
L’approbation en mai 2019 de la Loi fédérale « RFFA » a permis d’octroyer, comme on l’a vu ci-dessus, un financement additionnel pour l’AVS, cependant cette réforme ne sera pas suffisante.
En juillet 2019, le Conseil Fédéral a fixé les principales mesures qui devront figurer dans la nouvelle réforme et, fin août, a adopté son message à l’intention du Parlement.
Le projet de réforme « AVS 21 » reprend, en matière d’assurance vieillesse, les grandes lignes du projet « Prévoyance vieillesse 2020 ».
En effet, le Conseil Fédéral, après analyse des résultats de la dernière votation, a estimé que l’échec de 2017 était une conséquence de plusieurs facteurs particuliers, contingents, dont aucun n’aurait pu à lui seul mener au rejet du projet.
Malgré cet échec, la nécessité de reformer la prévoyance vieillesse est une conviction partagée par l’ensemble des acteurs.
Les objectifs définis sont les suivants :
- Garantir le financement de l’AVS jusqu’à 2030
- Maintenir le niveau des rentes
- Prendre en compte les besoins de flexibilité
Notamment, grâce à :
- Relèvement progressif de l’âge de « référence » (jusqu’à présent appelé âge de la retraite) des femmes qui passera de 64 à 65 ans. Dans le projet, la mesure sera mise en place de manière progressive : trois mois par an à partir de l’année qui suit celle de l’entrée en vigueur de la réforme. Dans la pratique, si la réforme entrera en vigueur en 2022 (comme souhaité par le Conseil Fédéral), le relèvement progressif de l’âge de référence (à partir de 2023) sera le suivant :
Cela signifie que si la réforme «AVS 21» est adoptée, toutes les femmes nées à partir de 1959 travailleront plus longtemps. Le nouvel âge de la retraite de 65 ans s’appliquera, ensuite, pour toutes les femmes nées à partir de 1962.
Le 2ème pilier, dans le cadre de ce point de la réforme AVS, sera également impacté par le relèvement progressif.
- Mise en place de mesures de compensation, pendant 9 ans, pour accompagner le relèvement de l’âge de référence pour les femmes.
Le Conseil Fédéral, conscient que le passage de 64 à 65 ans est le sujet plus « sensible » de la réforme et pour en atténuer les effets négatifs, a prévu pour les femmes nées entre 1959 et 1967 (les plus touchées par la modification du cadre légal) :
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- Le droit de bénéficier de taux de réduction actuariels plus favorables lors de l’anticipation de leur rente au cas où elles ne puissent travailler jusqu’à l’âge de référence. On le rappelle, le dispositif de Loi actuel prévoit la possibilité d’anticiper le départ à la retraite d’une année ou deux au prix d’une réduction, à vie, de la valeur de la rente. Le taux de réduction actuariel est de 6,8 % par an. Or, selon le projet AVS 21, si une femme ne sera pas en mesure de continuer à travailler jusqu’à l’âge de référence et devra anticiper son départ à la retraite, les taux actuariels appliqués seront réduits par rapport aux actuels (notamment, si le revenu annuel moyen déterminant est inférieur à 56.880 CHF).
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- Amélioration des rentes de vieillesse, en cas de perception à partir de l’âge de la retraite (y compris, donc, en cas d’ajournement). Les rentes seront relevées en moyenne de 76 CHF / mois, pour un maximum de 163 CHF pour un revenu moyen déterminant de 42.660 CHF / an. La mesure s’appliquera uniquement pour les revenus annuels moyens déterminants entre 14.220 CHF et 85.320 CHF (car ce montant ouvre déjà le droit à la rente maximale). A noter que, l’année supplémentaire de cotisation augmente, également, les rentes de la prévoyance professionnelle.
Selon les estimations du Conseil Fédéral, les mesures de compensation s’élèveront à 700 millions de CHF.
- Flexibilisation du moment du départ à la retraite (pour AVS et LPP), par le biais de :
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- La possibilité d’anticiper le départ à 62 ans ou de le retarder jusqu’à 70 ans, pour hommes et femmes. Par rapport au dispositif actuel, les hommes pourront, donc, anticiper leur retraite d’une année (aujourd’hui, l’anticipation peut avoir lieu à partir de 63 ans) et les femmes pourront continuer à travailler 1 an de plus. En complément, pour tenir compte de l’augmentation de l’espérance de vie, le Conseil Fédéral a proposé d’actualiser les taux de réduction actuariels en cas de :
– Retraite anticipée : les taux prévus sont de 4,0 % pour une anticipation d’1 an, 7,7 % pour une anticipation de 2 ans et enfin de 11,1 % pour une anticipation de 3 ans.
– Ajournement de la rente de vieillesse : les taux prévus par le Conseil Fédéral en termes de supplément d’ajournement varieront de 4,3 % à 25,7 % (de 1 à 5 ans d’ajournement)
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- L’anticipation des rentes de vieillesse par mois (aujourd’hui, l’anticipation peut avoir lieu uniquement par étapes annuelles)
- La possibilité de percevoir, en cas d’anticipation ou ajournement, une rente partielle (entre 20% et 80% de la valeur), facilitant ainsi une transition plus douce et progressive vers la retraite.
- Encouragement à poursuivre une activité lucrative au-delà de l’âge de référence, notamment par :
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- La prise en compte dans le calcul de la rente des cotisations AVS versées après l’âge de référence. Dans le système actuel les cotisations versées après cette date ne sont pas prises en compte.
Cela permettra de combler les lacunes de cotisation et, pour ceux dont le salaire annuel moyen déterminant est inférieur à 85.320 CHF (pour 2019), d’améliorer la rente AVS (jusqu’à hauteur de la rente maximale).
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- Le maintien de la franchise de revenu de 1.400 CHF par mois pour les retraités actifs. La mesure intéresse principalement les personnes qui perçoivent des bas revenus ou qui travaillent à temps partiel car le dispositif permettrait de continuer de bénéficier, même après l’âge de référence, d’une franchise d’exonération de cotisations de 16.800 CHF par année et par employeur, augmentant, par conséquence, le salaire net perçu.
Le Conseil Fédéral prévoit de financer la réforme en proposant une augmentation de la TVA de 0,7 points de pourcentage (en la faisant passer de 7,7 % à 8,4 %).
Cette mesure et le financement octroyé par la réforme RFFA, devraient permettre la stabilisation de l’AVS jusqu’en 2030.
Prochaines étapes
Le souhait du Conseil Fédéral est que la réforme de l’AVS entre en vigueur au 1er janvier 2022.
Le respect du délai dépendra du temps de traitement de l’Assemblée fédérale et des votations populaires obligatoires (modification de la TVA) ou probables (referendum facultatif pour la révision de la Loi après l’approbation de l’Assemblée).
Conclusions
L’objectif déclaré de la réforme «AVS 21» est la stabilisation de l’AVS à l’horizon 2030.
Elle n’a pas vocation d’assainir l’AVS de manière durable.
Pour faire face aux défis de la fin de la décennie, une réforme structurelle sera, donc, nécessaire, notamment pour prendre en considération l’évolution des modes de vie sociétaux (baisse des mariages, diffusion des formes de travail atypique et souhaits de flexibilité, le différent traitement des couples en concubinage par rapport aux couples mariés), complétement ignorés par « AVS 21 ».
Cette réforme structurelle sera certainement abordée au milieu de la décennie, quand le sujet du relèvement général de l’âge de la retraite sera au centre des discussions, dans un pays, on le rappelle, où l’espérance de vie à la naissance est parmi les plus élevée au monde et l’âge de départ à la retraite parmi les plus bas.
Pour en savoir plus, nous vous invitons à assister à nos séminaires.
Pour toute information, vous pouvez nous contacter au 076.426.60.07.
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Bibliographie
Préambule
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- Baromètre des préoccupations du Crédit Suisse 2019 : https://www.credit-suisse.com/about-us/fr/rapports-recherche/etudes-publications/barometre-des-preoccupations/centre-de-telechargement.html
- Étude Crédit Suisse sur les caisses de pension 2019 : https://www.credit-suisse.com/about-us-news/fr/articles/media-releases/credit-suisse-pension-fund-study-2019–pensions-to-fall-sharply–201910.html?t=557_0.7429032597774752
- RTS – Non, l’espérance de vie des Suisses n’a pas augmenté de 11 ans depuis 1948 : https://www.rts.ch/info/suisse/8708562-non-l-esperance-de-vie-des-suisses-n-a-pas-augmente-de-11-ans-depuis-1948.html
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Les enjeux
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- Office Fédéral de la Statistique : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/naissances-deces/esperance-vie.html
- Message relatif à la stabilisation de l’AVS du 28/08/2019 – https://www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/2019/5979.pdf
- « Perspectives financières de l’AVS sans réforme, selon la RFFA1 et avec l’AVS 21 » sur www.bsv.admin.ch – page 2
- Office Fédéral de la Statistique – Situation et perspectives financières de l’AVS : https://www.bsv.admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/ahv/finanzen-ahv.html
- Office Fédéral des assurances sociales OFAS – Projet Fiscalité et AVS : contribution à la couverture du besoin financier de l’AVS – Office fédéral des assurances sociales OFAS »
- Office Fédéral des assurances sociales OFAS : https://www.bsv.admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/ahv/reformes-et-revisions/ahv-21.html
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Historique
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- Office Fédéral de la Statistique – Montants des rentes ordinaires de l’AVS, dès 1948 (rentes complètes, échelle 44) : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/actualites/quoi-de-neuf.assetdetail.8606753.html
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Ce que prévoit la Réforme
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- Conseil Fédéral – AVS 21 : le Conseil fédéral fixe les mesures visant à stabiliser l’AVS : https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-75705.html
- Message relatif à la stabilisation de l’AVS du 28/08/2019 – https://www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/2019/5979.pdf
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